Robert Eggers accompagne dans « The Lighthouse » deux gardiens de phare sur un îlot à la fin du 19ème siècle. Le cinéaste américain joue avec les codes du cinéma pour créer un film à l’ambiance aussi sombre que sa couleur.
Un phare mystérieux, une île perdue, une météo calamiteuse et des mouettes. Voici le décor durant quatre semaines pour le vieux loup de mer, Willem Dafoe, et le marin d’eau douce, Robert Pattinson, avant l’arrivée de la relève. Les deux marins travaillent, mangent, boivent, dorment ensemble. Ils apprennent à se connaître. Le réalisateur crée à partir de ce contexte une atmosphère nauséabonde où chaque parole et chaque acte prêtent à confusion.
La magnifique chromatique noire et blanche imprègne d’austérité un film dont le format d’image n’est que peu usité depuis les années 1920 et dont la pellicule peut rendre un ciel bleu inquiétant. Ajoutez à ce postulat technique les nombreux gros plans sur les visages démonstratifs, plus ou moins éclairés, des acteurs et le rapprochement avec le cinéma expressionniste allemand, de cette même époque, n’est qu’à un pas. L’ambiance sonore du film est primordiale. La qualité de celle-ci imprègne l’image et immerge le spectateur dans les lieux. Le retentissement perpétuel de l’alarme du phare lui donne une présence d’autant plus importante qu’elle inquiète par sa tonalité grave. Le film lorgne tant sur le cinéma d’horreur que sur les récits de marins pour composer un nouvel ensemble. Tout aussi complexe. Tout aussi dérangeant.
Une folie pour les personnages… et pour le public
Le phare est l’objet de toutes les convoitises. Le vieux loup se l’approprie comme son bien personnel tandis que le jeune marin exécute les tâches ménagères, parfois difficiles, souvent ingrates, du quotidien, accompagnées des reproches de son compagnon d’infortune. Les mêmes combats tous les jours et une beuverie de plus en plus prononcée chaque soir forment un cercle vicieux dont ils n’arrivent à se dépêtrer. Leur aliénation continue les mènent à douter des paroles et des actes de l’autre.
Et le spectateur aussi se met à douter. Douter des personnages et des images qui lui sont proposées. Une distanciation se forme à partir de la question identitaire des personnages. Qui sont-ils ? Sont-ils ceux qu’ils prétendent être ? De la situation émerge une ambiguïté malsaine à laquelle le réalisateur ajoute des éléments fantastiques pour réduire à néant les derniers marqueurs logiques et repères temporels du spectateur. Là est la force de « The Lighthouse ». Ce phare laisse perplexe, perturbe, intrigue. Aucun code traditionnel du cinéma ne le régit. C’est un véritable OVNI cinématographique dont personne ne sort indemne.