Tanja Jakic : la bonne fée des sans-abris

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« Je connais tout des sans-abris à Nice, leur histoire, leur pointure et le nombre de sucres qu’ils mettent dans leur café ». © Nassima Errami

Son nom ne vous dit peut être rien et pourtant cette femme dévouée à la cause des démunis a certainement déjà croisé votre chemin. Depuis sept ans, entourée d’une fidèle équipe de bénévoles, Tanja multiplie les actions pour lutter contre la précarité dans la ville de Nice.

Une chevelure noire ébène, un teint blanchâtre d’une pureté frappante, des yeux mêlant le bleu de l’océan et le gris de l’horizon, Tanja Jakic est aussi belle à l’extérieur qu’à l’intérieur. Chaque samedi, cette « pile électrique » s’affaire dans la cuisine du restaurant Tandoori Flame, situé dans le vieux Nice. Avec un sourire angélique qui ne la quitte jamais, elle accueille toute l’équipe de bénévoles qui l’accompagne dans son combat quotidien contre la précarité. Entre la préparation des repas pour la maraude hebdomadaire et le nettoyage du plan de travail, elle prend le temps de se remémorer les prémices de son engagement sans faille envers les démunis : « J’ai commencé le bénévolat à l’âge de quatre ans. J’accompagnais ma mère dans un orphelinat près de notre maison en Croatie. J’ai très vite pris conscience de la chance que j’avais comparé à d’autres enfants. Je me suis liée d’amitié avec eux, et puis j’ai commencé à rentrer à la maison sans ma veste, en prétextant qu’elle servait plus à un autre qu’à moi ».

Une citoyenne au grand coeur

Savourer l’instant, mesurer la chance de manger et boire à sa faim, apprécier son confort ne sont pas des réflexes pour tout le monde. À l’ère des réseaux sociaux, où il est plus simple de se plaindre de sa journée, de son directeur ou de son plat au restaurant à travers un post, la reconnaissance est devenue une vertu. Tanja est exemptée de ce mode de vie mélodramatique et son passé y est pour beaucoup : « J’ai vécu deux guerres, la première à 15 ans, l’autre à 23 ans. Je sais ce que ça signifie de ne pas manger, de ne pas avoir d’électricité et d’être dans la difficulté ». Arrivée en France depuis dix ans, cette femme à la douceur innée s’efforce de contrer les idées reçues : « Pour faire une action solidaire, il ne faut pas nécessairement faire partie d’une association ou d’une organisation, cela doit être naturel. Donner un plat ou une couverture à un SDF (sans domicile fixe) en bas de chez vous, ou tout simplement lui accorder du temps, c’est déjà beaucoup », rajoute-t-elle

Avec un accent délicieusement croate, Tanja s’insurge et s’agace du comportement usuel de certains français, pour qui les démunis sont réduits à des voyous, des alcooliques, des voleurs ou encore des incultes. C’est en connaissance de cause que cette bénévole de 43 ans affirme : « Il y a beaucoup d’intelligence dans la rue mais malheureusement la misère a raison de tout ce talent. Par exemple, Papy Noël de son surnom est un sans-abri très cultivé. Chaque jour il dévore un nouveau livre et maîtrise de nombreux sujets ». Dans un sentiment d’amertume et avec une mou de désolation, Tanja ne se fait pas prier pour dénoncer la violence ou la « bêtise » qui règne dans la ville : « J’ai sauvé Malcolm de la mort, deux fois. C’est un anglais, charmant et très touchant qui subit malgré lui le comportement brutal de ceux qui ne savent boire avec modération ».

Un quotidien riche en solidarité

Trêve de confessions, Tanja reprend du service car pour elle, le temps est précieux. Son emploi du temps est réglé comme une horloge. Tous les samedis, c’est la même rengaine, il n’y en a que pour « Actions du coeur » : « Ce n’est pas une association, c’est un groupe d’amis et de bénévoles. Depuis 7 ans on se réunit le premier jour du week-end pour faire des maraudes » explique-t-elle. Mais pour mener à bien cette mission, les étapes sont nombreuses : « Au niveau du financement et lorsque les dons ne sont pas suffisants, j’use d’alternatives. Il m’arrive de donner des cours de yoga dans des parcs publics afin de remplir notre cagnotte. La participation est libre donc la somme récoltée est aléatoire, mais tous les fonds sont bons à prendre pour faire des courses ». Une fois les plats concoctés et emballés, l’équipe se réunit devant le restaurant Tandoori Flame. Le propriétaire de cet établissement du vieux-Nice, Ashok Kumar met lui aussi la main à la patte et cède bénévolement sa cuisine entre 15 heures et 18 heures. Place maintenant à la photo de groupe. Chariots de courses en main, le regard plein de détermination, Tanja cède chaleureusement à ce rituel. Et tout le monde dit « CHEESE »!!

Un magazine solidaire

D’un tempérament visiblement obstiné, la bonne fée de la ville de Nice aspirait à plus pour ses protégés, avec qui elle entretient un lien très fort. Lors de ses vacances dans le Var, Tanja croise le chemin d’un sans-abri qui lui tend un magazine solidaire, et c’est le déclic : « Je sentais que je devais aller un peu plus loin pour subvenir aux besoins des défavorisés. Je me suis renseignée pour créer un magazine de rue dans la ville de Nice dont les recettes leurs seraient exclusivement réservées ». Mais pas question de bâcler le travail. C’est dire que pour cette architecte et infographiste, la créativité et le souci du détail sont de mises : « Je voulais un papier de qualité, du contenu attractif et informatif ». Ce support inédit vendu au prix unitaire de deux euros est une manière pour les sans-abris de rompre avec l’isolement et de récréer du lien social. Sans Abri 06 est commercialisé dans la ville de Nice depuis le mois de décembre 2019. Il ne vous reste plus qu’à ouvrir les yeux pour vous le procurer…

1 magazine vendu équivaut à l’achat de papier hygiénique. 2 magazines valent le prix d’un sandwich ou d’une paire de chaussettes. © Nassima Errami