Que vaut la baguette à 29 centimes chez Leclerc ?

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Visuellement, la baguette de Leclerc semble rapidement démasquée… ©Pacôme Bienvenu

Cet article a été réalisé dans le cadre d’une série de « j’ai testé pour vous » des Masters 1 de l’EDJ.

Le 11 janvier, Michel Édouard Leclerc a mis le feu aux poudres. En cause, la commercialisation d’une baguette de pain à seulement 29 centimes au sein de son enseigne. Une annonce difficile à digérer pour les artisans boulangers. On l’a testée pour vous. 

« Le respect et la tradition ». Le ton est donné. A première vue, dans la boulangerie d’Éric Zambetti, on ne plaisante pas avec le savoir-faire. La cuisson du pain laisse échapper une odeur enivrante jusque sur le parvis de la boutique. L’interminable file d’attente devant celle-ci répond à quelques-unes de nos interrogations : oui, les Français restent fidèles au pain, et plus particulièrement à la baguette. Son prix ne cesse de faire débat depuis le 11 janvier dernier. Michel Édouard Leclerc, directeur de la chaîne de distribution du même nom, a annoncé son coup de communication faramineux, au micro de RMC. « Nous allons proposer une baguette à 29 centimes, en bloquant ce prix durant les quatre prochains mois ». 

La raison ? Éviter, selon lui, aux français de voir leur pouvoir d’achat s’envoler, déjà touché par l’inflation grandissante. Une annonce suivie d’une ire chez les boulangers et les producteurs. « C’est très surprenant. Nos matières premières augmentent, comment une enseigne comme Leclerc peut vendre une baguette à ce prix ? La farine, par exemple, a augmenté de 30%. Si je vends une baguette à 29 centimes, je peux baisser le rideau. Il est fort possible que l’on perde des clients », s’offusque un boulanger, non loin de la grande surface. 

Un étal déjà pris d’assaut

Mais alors que vaut réellement cette baguette ? Sur les étals de l’enseigne niçoise, difficile de la trouver : « nous sommes en rupture, revenez demain matin », nous indique l’employé. Pour avoir l’occasion d’en acquérir une, il nous faudra donc nous lever tôt. Au premier regard, ce pain semble bien moins alléchant qu’un traditionnel. Pourtant, son succès est lui bien réel. Sophie, mère de famille vient d’en déposer quatre dans son chariot : « je m’en veux presque, je sais. Pour les artisans, et les agriculteurs. J’ai trois enfants, je ne peux pas me permettre d’acheter deux baguettes tous les jours à 1€. Économiquement, je ne m’y retrouve pas, le coût de la vie est de plus en plus élevé. Celles-ci, je les congèle », avoue-t-elle.

Le calcul est rapide. Pour l’achat d’une seule baguette chez le boulanger, comptez en acquérir trois dans la surface commerciale, pour le même prix. Et quand nous osons demander avec quels ingrédients se composent le produit, l’employé qui flâne ne se montre pas bavard : « comme une vraie baguette, de la farine, de l’eau… ». Une vraie baguette ? Il y aurait dans ces quelques mots maladroits, un début d’explication ? Et ces produits, sont-ils de si bonne qualité ?  Son aspect caoutchouteux laisse perplexe. Sa mie, friable, a même quelques allures de polystyrène que l’on émietterait. Sa croûte s’avère quant à elle bien dure. Nous ne vous cachons rien : la première impression est souvent la bonne, et ça ne manque pas. Une fois en bouche, les saveurs ne se bousculent pas. Fade, c’est sans réel plaisir que nous continuons à mâcher le morceau pour le moins décevant. « Pour le prix vous vous attendiez à quoi ? Je ne retrouve en rien le goût d’une vraie baguette », reconnait un goûteur. Autre surprise, après quelques heures à l’air libre, le pain se durcit considérablement. Impossible donc de le conserver jusqu’au lendemain. 

« On dirait du chewing-gum ! »

Aux abords de la grande surface, le jeu de la dégustation s’impose. Après avoir discrètement découper quelques morceaux, la comparaison avec la baguette traditionnelle laisse lieu aux critiques : « il n’y a pas de doute, c’est celle-ci ! On dirait du chewing-gum ! ».  Ou alors, « on ne dirait pas vraiment du pain, il est dur à mâcher ». Le palet des consommateurs parle sans grande retenue : « comment peut-on manger cela ? Il n’y a même pas de croûte. Il a un goût de farine, il s’émiette, son prix est justifié…, juste son prix ». Les avis semblent unanimes et pourtant, les baguettes partent comme des petits pains… 

Leclerc roule-t-il alors ses consommateurs dans la farine ? « 29 centimes la baguette, pour Leclerc, c’est un îlot de pertes sur un océan de profits », déclare Dominique Anract, le président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française. La possible stratégie du groupe ? Vendre à perte, en se rattrapant sur le caddie total du consommateur, tout en attirant d’autres clients. Pour notre part, après avoir goûté plusieurs fois la baguette, l’envie d’y retourner ne nous traverse pas tellement l’esprit. Quitte à manger moins de pain selon nos finances du moment, la baguette de chez Leclerc n’est déjà qu’un lointain souvenir. Une alternative nous est alors proposée : celle de fabriquer seul son pain : « quand j’ai vu que la baguette avait durci aussi vite, je me suis m’y en tête de faire mon pain le week-end au petit déjeuner, c’est assez rapide, et finalement tout aussi économique, et bien meilleur ! », avoue Léo, étudiant. 

La guerre des baguettes à 29 centimes est lancée

Si les boulangers grognent, les différentes grandes surfaces, comme Lidl, ne restent pas insensibles. Ce mercredi 19 janvier, l’enseigne préférée des Français a sauté le pas pour contrer Leclerc, en proposant elle aussi une baguette à… 29 centimes. Un alignement jugé « obligatoire » par le directeur de Lidl France : « je trouve que ce n’est pas très responsable de sa part (Leclerc) d’attaquer un symbole comme celui-ci dans le contexte actuel. Ça entraîne une spirale déflationniste dont on n’a pas besoin aujourd’hui ». Des propos aux odeurs de contradiction. Si le prix est une chose, la qualité et le goût restent maitres dans le critère d’achat d’une baguette en France selon les derniers sondages (73%). Une tendance sujette à s’inverser ? 

D’où vient la baguette ? 
 
La création de la baguette est-elle un mystère ? On parle de légendes, au nombre de trois. Elle aurait d’abord été inventée sous l’Empire Napoléonien, au 19eme siècle. Plus légère, moins volumineuse, les soldats pouvaient donc la transporter plus facilement lors de leurs déplacements. D’autres évoquent son invention par un boulanger autrichien, August Zang, à Paris. Toujours dans la capitale, la baguette aurait pu être créée sur un chantier du métro, dans le but d’éviter les rixes récurrentes entre les ouvriers. Le pain, moelleux, pouvait alors être découpé sans couteau, arme très utilisée lors des règlements de compte. Mais la réalité est toute autre. Les demandes des bourgeois parisiens, désireux d’avoir un pain frais de taille réduite toute la journée, ont fait évoluer l’aliment. Une évolution permettant aux boulangers de faciliter la production du pain, souvent pénible et longue. 

*Ce travail a fait l’objet d’une double vérification juridique et éditoriale par Léna Peguet*

Pacôme Bienvenu