On a passé une nuit avec les occupants du Théâtre National de Nice

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Les comédiens permanents du TNN sont venus saluer les occupants. ©Paul Guianvarc'h

Depuis le 15 mars, des artistes, étudiants ou encore intermittents du spectacle occupent le Théâtre National de Nice pour protester contre la fermeture des lieux culturels, la réforme de l’assurance-chômage et autres. On a passé une nuit avec eux.

Le Théâtre National de Nice (TNN) est habité par des artistes, intermittents du spectacle et des étudiants depuis le lundi 15 mars, dans le cadre du mouvement d’occupation des bâtiments culturels, initié par la CGT Spectacle et lancé à Paris, au Théâtre de l’Odéon, au début du mois dernier.

Les revendications liées à cet acte sont multiples, et la réouverture des théâtres ou des cinémas est loin d’y être la priorité. Le retrait de la réforme de l’assurance-chômage (Ndlr : elle entrera partiellement en vigueur à partir du mois de juillet) qui « va plonger dans la précarité de nombreuses personnes déjà en difficulté », lutter contre la « paupérisation » des professionnels du spectacle, ou encore relancer vigoureusement l’activité lors de la reprise de la vie culturelle grâce à des aides de l’État sont des sujets bien plus importants à leurs yeux. Avec l’accord de la direction du TNN, ils prennent place dans le hall d’entrée du bâtiment. On a passé une nuit avec eux.

18h : début de la garde

Après un, deux voire trois jours sur place, certains occupants rentrent chez eux et laissent la place à la relève. « Cela permet d’éviter de créer de la lassitude au sein de notre mouvement », explique Océane, 19 ans, étudiante en deuxième année au Conservatoire de théâtre. « Une grosse fatigue, physique comme psychologique, se forme dans ce genre d’événements. Il est important d’alterner pour pouvoir bien récupérer et garder l’envie. » Ainsi, chaque soirée s’effectue en compagnie de personnes différentes, même si certaines têtes reviennent plus régulièrement.

Des derniers conseils et points d’information sur les sujets importants à préparer pour les journées à venir sont transmis aux nouveaux arrivants. Ce soir-là, ils sont neuf (le maximum étant dix, afin de respecter au possible les réglementations sanitaires).

19h : visioconférence

Les réunions syndicales sont fréquentes depuis le début des occupations. Ce mercredi, il n’est cependant pas question des conditions d’habitation mais de la relance de l’activité culturelle. Derrière l’écran, Denis Gravouil, le secrétaire général de la branche syndicale, rappelle la perte de salaire cumulée des professionnels du spectacle, estimée à 600 millions d’euros depuis un an. « Quand on voit que le gouvernement a injecté sept milliards dans Air France, on se dit qu’un demi-million pour la culture, c’est jouable », assène-t-il, relançant un débat vif sur la question financière.

« Rouvrir, c’est bien, mais ce qui compte, c’est la reprise de l’activité car personne n’a eu le travail ni les revenus escomptés lors de la réouverture de l’été dernier », explique Jean-Louis Ruf, musicien et référent de la CGT Spectacle à Nice, auprès de ses comparses.

Pendant ce temps, d’autres membres de l’équipe s’affairent à la préparation du diner dans la petite cuisine aménagée à l’accueil. Salade composée au menu: tomates, concombres, maïs, radis, avocats…

20h : allocution d’Emmanuel Macron

« On va à la messe. » L’ambiance est faussement détendue avant la prise de parole du président de la République. Les blagues fusent mais la confiance ne règne pas. « Après un an sans travail ou presque et un oubli de la culture de la part du gouvernement, une sorte de résignation s’est installée », note Danielle, chanteuse et comédienne, présente pour la première fois. « C’est aussi pour cela qu’on lutte », ajoute Mathieu, la trentaine, comédien dont le seul en scène a été annulé avant la première représentation en mars 2020. « Cela nous maintient et évite de sombrer dans la folie », explique celui qui ne subsiste plus que par le RSA.

« Les intermittents, la culture, il n’a rien dit. Je n’ai rien entendu », lâche Robin, étudiant au Conservatoire. « Si, il a parlé de la culture. Il évoque un éventuel calendrier de reprise, mais c’est tout. Rien sur les professionnels », répond Alexis. « Non, eux ne le méritent pas », en rit jaune Tracy, étudiante en anglais et habituée des lieux.

21h : diner

Un peu dépités par le discours du Président, les esprits se réchauffent avec des discussions passionnées autour de la table à diner. Emploi, économie, politique… tout y passe. Les idées se partagent et les actions se préparent. « Ce serait bien d’organiser quelque chose vendredi (2 avril), en marge de la grève », assure Robin. Distribution de tracts devant Pôle Emploi, sensibilisation de la population sur les marchés, différentes propositions sont débattues, aucune n’est validée.

Le mouvement étant amené à durer dans le temps, la question de l’organisation se pose. La gestion des plannings, la création de commissions spécialisées sur les actions ou les revendications etc. La trésorerie pose également un problème. Avec plus que 30 euros dans la tirelire et reposant essentiellement sur les dons de sympathisants, les occupants craignent d’être vite à cours de moyens et que l’élan autour d’eux s’amenuisent. Les conversations s’enchaînent pendant plusieurs heures, jusqu’à l’arrivée de la fatigue.

0h30 : au lit

Seule partie occupée qui ne se situe pas directement dans le hall d’entrée du théâtre, le dortoir est installé dans le corridor qui mène à la salle principale du bâtiment.

Une dizaine de matelas gonflables sont disposés de part et d’autre du couloir. Ils sont à la disposition de tous, chacun prend celui qu’il souhaite, seuls les draps sont à apporter.

7h : réveil et lancement de la journée

La sécurité allume la lumière à 7h, réveillant les derniers endormis. Les discussions se lancent rapidement sur l’organisation de l’agora du jour, réunion quotidienne à 14h pour traiter de différents sujets de société. Le planning pour la journée est également débattu et figure ensuite sur le tableau des activités, anciennement le tableau de la programmation théâtrale.

Une nouvelle journée de lutte. « C’est reparti pour un tour », s’en amusent certains, se partageant de la bonne humeur pour garder le moral. Car comme l’affirme Jean-Louis: « C’est le présent et l’avenir de millions de personnes qui sont en jeu. On mène un combat de longue haleine, on le sait et on ne lâchera pas. »