Des flammes et des larmes, une nuit de cauchemar à Paris. La cathédrale de Notre-Dame s’est embrasée, plus de 850 ans d’histoire sont partis en fumées.
« Il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée ». Romantique ou visionnaire, Victor Hugo avait peint la scène à l’encre noire. La Cathédrale de Notre-Dame était déjà l’actrice principale d’un drame en 1831. Aujourd’hui, les flammes sont réelles, lumineuses et agressives, comme dessinées par l’écrivain. La France pleure une grande Dame. Son corps blessé est encore debout, mais son cœur, la charpente boisée, a brûlé.
La Dame de Paris
Depuis plus de 850 ans, elle se tenait droite, majestueuse et imposante sur l’Île de la Cité. Cœur de l’archidiocèse de Paris, Notre-Dame veillait sur le quartier populaire qui porte son nom. Son père, Maurice de Sully, l’avait pensé en 1160. Le peuple français a concentré ses efforts pour donner un trône à l’évêque (la cathèdre) et rendre hommage à la Vierge Marie. Près d’un siècle de gestation et la voilà. La jeune femme gothique s’installait dans le paysage, au-dessus de tous, presque insolente. Sa flèche perçait le ciel pour accentuer sa silhouette élancée, ses rosaces étincelaient pour faire rougir ses joues. L’Église du diocèse accueillait les foules dans sa nef en forme de croix latine. Elle était d’une beauté fragile, de celle qui traverse les âges et affiche les cicatrices de l’histoire. Son corps du XIIIe siècle a d’abord profité du temps puis subi ses aléas. Jusqu’au jour de trop, le 15 avril 2019, où elle s’est endormie avec des plaies béantes.
La rescapée de la Révolution
Du haut de ses 69 mètres (au niveau des tours), la vieille Dame médiévale a assisté aux plus grands événements de notre histoire. À l’heure où les Sans-Culottes prenaient les armes pour mener la Révolution, la cathédrale regardait, impuissante, le combat de ses concitoyens. En novembre 1793, un culte de la raison est célébré en son sein, peu avant l’interdiction du culte catholique. Au son de la « déchristianisation », son antre est vandalisé. La flèche qui la coiffait est démontée (l’actuelle, dévorée par les flammes, était une réplique du XIXe siècle).
La gardienne de l’espoir
Une trentaine d’années plus tard, Victor Hugo en fait son personnage principal. En la présentant comme le poumon de son livre, le poète espère rendre un poumon à sa ville. Par sa plume, il lance un élan. La cathédrale est soignée pendant plus de vingt ans. Son médecin, Eugène Viollet-le-Duc, lui consacre sa vie. Pour la protéger, elle est classée « Monument historique ». Plus tard, elle se classe même au Patrimoine mondial. L’avenir lui sourit, elle qui semble immortelle. Chanceuse un temps, la Dame du 4e arrondissement échappe aux deux plus grands conflits du XXe siècle. Mieux encore, elle célèbre leur fin. Le 25 août 1944, ses cloches sonnent pour annoncer la libération de Paris. Un Magnificat résonne sous ses voûtes.
« NOTRE-DAME EST A ELLE SEULE UN LIVRE D’HISTOIRE »
J. MICHELET
Des siècles durant, Notre-Dame de Paris a vécu les tragédies, soigné les maux, réparé les âmes, nourri les fantasmes des écrivains et les espoirs des fidèles. Elle s’est occupée du peuple comme une mère, le rassurait comme un repère. Chaque année, près de 15 millions de visiteurs se pressaient sur son parvis. Elle était le monument le plus visité devant sa petite sœur, la Tour Eiffel. La semaine dernière, elle s’est offert un lifting pour la première fois en 30 ans pour rénover sa toiture de plomb et ses statues. Mais comme toute opération chirurgicale, le risque zéro n’existe pas. Notre-Dame gardera une balafre à tout jamais.