Pour le lancement du Festival Femmes en Scènes, organisé à Nice pour la 12ème édition, sa marraine honoraire, Olympia Alberti est venue présenter son ouvrage « Marguerite Duras, une jouissance à en mourir ». L’auteure raconte leur rencontre, leur amitié, leur histoire aussi passionnante que bouleversante.
Marguerite Duras est décédée le 3 mars 1996. Quatre jours plus tard, elle est enterrée au cimetière Montparnasse. La date du jeudi 5 mars 2020 paraît alors toute choisie pour célébrer sa mémoire. « Je me sens un tout petit peu légitime de vous parler d’elle », débute l’écrivaine antiboise, Olympia Alberti. Légitime, c’est certain, pour avoir partagé une amitié passionnante et passionnée durant les neuf dernières années de sa vie. Alors, pour ouvrir ce festival qui met les femmes à l’honneur, sa marraine raconte « une femme qui écrivait et qui écrit encore là-haut, sûrement pour emmerder le monde, comme elle l’a toujours fait ». D’une voix claire, presque envoûtante, Olympia nous emmène dans le passé pour rencontrer Marguerite. Elle s’adresse à elle comme si elle était dans la salle, assise au premier rang de sa propre vie.
La rencontre de deux femmes de caractère
Lycéenne à Antibes, Olympia Alberti découvre et dévore Moderato cantabile dans la salle d’attente du médecin. Dans l’œuvre de Duras, la jeune fille se passionne pour cette littérature qu’elle définit comme une manière de respirer. « Je ne savais pas, à ce moment précis, que je venais de rencontrer une figure majeure de ma propre vie de future écrivaine », confie celle qui compte désormais 47 ouvrages à son actif. Dix ans plus tard, elle retrouve Marguerite dans India Song à Casablanca. Elle lui écrit, sans réponse. À peine la trentaine passée, Alberti est publiée pour la première fois chez Albin Michel. « Je dédicace le premier exemplaire à mes parents, évidemment, le deuxième à Marguerite et je leur fais livrer par porteur spécial à Paris. » Toujours pas de réponse. « La vie continue ». En 1984, la téméraire Olympia est nommée productrice à France Culture et décide d’organiser une série d’interviews avec la détentrice du Goncourt, nourrissant l’espoir d’enfin rencontrer sa source d’inspiration. « Le miracle a lieu. Ma fille Diane me dit en pouffant de rire, Marguerite Duras veut te parler au téléphone », s’amuse-t-elle en repensant à la scène surréaliste. « On a parlé pendant 40 minutes, les plus extraordinaires d’une vie quand on écrit ». La première rencontre a lieu le 17 février 1988. Marguerite la tutoie, ce qu’elle fait quand elle a le coup de foudre. « On s’accroche dès le premier rendez-vous », ironise Alberti, traduisant des discussions riches et passionnées.
« Dans un état de sincérité, elle disait tout et des choses incroyables »
La flamme prend entre les deux femmes. Éclats de rire, éclats de mots, ferveur, orages et tendresses. Olympia et Marguerite sont unies par un « lien lumineux ». Aujourd’hui, la vie de Duras résonne avec passion dans l’auditorium Louis Nucéra, dans la voix rauque de son amie. Sa personnalité emplit les lieux, parce qu’elle est racontée par quelqu’un qui la connaît et qui ne mâche pas ses mots pour parler de ses maux. « Marguerite était alcoolique, elle était très lucide sur son cas », mais il est impossible de la résumer à cela. « Il faut parler d’une femme à la fois petite et immense, comme Piaf, d’une femme courageuse et ivre de révoltes inapaisées ». Dans une franchise puissante, Olympia Alberti raconte une femme meurtrie, par sa famille, par l’amour et la maladie. Après plusieurs reports, la série d’interviews prévue n’aura jamais lieu, l’écrivaine disparaît trop tôt.
Dans la peau et le souffle de l’autre
« J’étais au Salon du Livre de Nice en 2013 quand on me propose d’écrire sur Marguerite Duras », explique l’auteure qui accepte immédiatement malgré la fatigue d’un travail intense. « Je ne pouvais pas refuser d’écrire sur quelqu’un qui m’a donné le feu vert pour écrire mon premier roman, qui était là même sans le savoir. » Un marathon rédactionnel s’enclenche alors pour celle qui a ce besoin de rendre hommage en se mettant dans la peau de Marguerite. Exténuée, elle rend l’ouvrage et tombe gravement malade. Elle souffre d’une double pneumopathie aigüe. Six mois plus tard, la journaliste Bérengère Bonte salue « le souffle dans son livre » sur Europe 1. La réponse de l’auteure ne se fait pas attendre : « Du souffle ? Je l’ai perdue quand j’ai rendu le livre, j’ai fini à la Salpêtrière ». Une semaine après, elle apprend la cause réelle du décès de son amie, une double pneumopathie aigüe… Olympia Alberti s’est glissée dans la peau de Marguerite Duras pour l’écrire, Marguerite a cessé de respirer, Olympia a retrouvé le souffle pour continuer de la raconter.