Droit à l’avortement : un vent progressiste souffle sur l’Argentine péroniste

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La militante féministe Paz Romero donne de la voix dans les rues de Buenos Aires, après la légalisation du droit à l'avortement dans son pays le 30 décembre 2020. ©Flickr

Dans la nuit du 29 au 30 décembre 2020, le Sénat argentin a voté le droit à l’IVG. Une décision historique pour l’Argentine, qui devient le premier grand pays d’Amérique latine à légaliser l’avortement. Ce nouveau droit social vient s’ajouter aux acquis progressistes du reboot péroniste.

La liesse a changé de camp dans la nuit de ce 29 décembre. Les foulards verts (pro IVG), agités par tous les poignets, ont fouetté l’air de Bueno Aires, et battu le rythme d’une joie inextinguible. Le Congrès argentin vient d’officialiser la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) jusqu’à la quatorzième semaine. Après douze heures de débat et un décompte moins étriqué que pressenti, 38 sénateurs se sont prononcés favorables à ce projet de loi, contre 29 opposants et une abstention. Le projet avait emporté la faveur de la chambre basse, le 11 décembre dernier. Un vote lors duquel la majorité avait déjà élargi ses rangs.

Après une dizaine d’années de revendication, une exultation unanime s’est détachée des poitrines des militants pro-avortement, purgés de l’épuisement d’un combat de longue haleine. Un instant capiteux qui a fait s’évanouir la mémoire des espoirs ravis, après la déroute d’une première proposition révoquée par le Sénat en 2018.

Un projet sociétal

Maintes fois vaincues par le désaveu des sénateurs, les militantes ont fourbi leurs armes discursives et rassemblé leur cortège. Parmi elles, Paz Romero, activiste féministe aux boucles noires inflexibles comme son militantisme forcené, dédie cette victoire sociale « aux sorcières des villages qui ont accompagné des avortements. À nos grands-mères qui ont pris soin de nos mères quand elles ont dû se faire avorter. À nos mères, qui nous soutiennent et nous attendent au retour des mobilisations ».

Ce nouveau droit vient densifier le legs des acquis du péronisme, précédé par une saccade de lois sociales depuis l’arrivée au pouvoir d’Alberto Fernández en décembre 2019. Celui qui semble travailler à rejoindre les timoniers progressistes a « donné l’exemple » au lendemain de son investiture, en appliquant la loi Micaela, qui oblige les sphères administratives à suivre une formation sur légalité entre les genres et les violences faites aux femmes. Plus récemment, une autre mesure audacieuse est intervenue en faveur de la communauté Trans, pour instaurer un « quota de main-d’œuvre pour le contingent des employés de l’État », confirme Paz Romero. « Une cause plébiscitée depuis de nombreuses années ». Il y a deux ans, le pays était déjà secoué par une révolte systémique contre le machisme coutumiers, qui avalu au terme de « féminicide » d’avoir son index dans le Code pénal argentin. À l’égard de la politique menée, Paz félicite « le budget alloué aux questions de genre », et souligne l’instauration d’un « ministère de la Femme et de la Diversité, qui influence directement l’élaboration des politiques publiques ».

« L’Argentine a toujours revendiqué les droits de l’homme »

Selon l’activiste Paz Romero, ce reboot du Parti Justicialiste (fondé par Perón) démontre que « la politique peut être un outil de justice sociale, et cela va de paire avec le renforcement du mouvement féministe dans le pays ». Promesse de campagne, cette loi se veut un gage supplémentaire de la restauration des piliers fondateurs du mouvement présidentiel, à savoir « l’éducation minimale, le travail, l’accès aux droits et aux soins ».

Des engagements pris au nom « du peuple », aussi composite soit-il. Une ritournelle des harangues justicialistes, qui permet à la politique gouvernementale de s’extraire des apories que produirait la prise en considération des identités partisanes. Dans cette volonté de justice sociale, un impôt sur la fortune est d’ailleurs entré en vigueur début décembre 2020 en Argentine, afin de lutter contre une pauvreté galopante. Un tropisme péroniste intrinsèque à l’histoire du pays, comme le considère Paz Romero : « L’Argentine a toujours revendiqué les droits de l’homme et réparé l’État après des années de dictature que d’autres pays du continent n’ont pas connues. En ce sens, on peut comprendre que cela fait déjà partie de l’idiosyncrasie du pays ».

Grandes ambitions, faibles moyens

Mais derrière l’allégresse qui emporte les féministes, se tapit une amère lucidité. Après quatre années de libéralisme exercé par l’ancien président Mauricio Macri, qui ont laissé le pays exsangue, l’Argentine fait face à une énième crise économique d’ampleur. « L’accès aux médicaments est de plus en plus limité aux personnes qui en ont les moyens », soupire Paz. Le recourt à l’avortement médicamenteux a de fait atteint un prix exorbitant. Ainsi, des centaines de morts sont à déplorer chaque année. Et pour cause, les pratiques clandestines sont nombreuses, faute de prise en charge efficiente par les hôpitaux.

Des brigades territoriales de collectifs féministes tentent de palier ces carences publiques dans les centres de soins des quartiers déshérités. Une réalité de terrain, faite de disparités, qui suggère à Paz la prudence et la pugnacité vis-à-vis de la légalisation de l’IVG dans son pays : « Nous savons qu’une loi n’est pas un droit, tant qu’elle n’a pas vraiment atteint tous les coins du pays ».