« Armageddon Time » : l’histoire la plus personnelle de James Gray 

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Paul Graff (Michael Banks Repeta) et son grand-père Aaron Rabinowitz (Anthony Hopkins) nous offrent les scènes les plus marquantes du film © Anne Joyce / Focus Features

C’est l’un des films événements de cette fin d’année. Dans les salles françaises depuis le 9 novembre, Armageddon Time raconte la propre enfance de James Gray, marquée par la violence et l’injustice de New York au début des années 1980.

Quand on pense à New York au cinéma, on pense à Woody Allen, à Martin Scorsese… et à James Gray. Pour son neuvième long métrage, le réalisateur new-yorkais nous emmène une nouvelle fois dans sa ville de cœur. Après deux films policiers (The Yards et We Own The Night), une romance (Two Lovers) et un film noir (Little Odessa) dans la ville qui ne dort jamais, James Gray décide d’y retourner une cinquième fois. Il s’inspire de sa propre jeunesse pour dénoncer les inégalités que subissent certaines minorités de New York au début des années 1980.

Au premier plan du long métrage, on retrouve Anne Hathaway et Anthony Hopkins, que nous n’avons plus besoin de présenter. Cependant, pour les amateurs du petit écran et les fans de la série HBO Succession, Armageddon Time était l’occasion de retrouver Jeremy Strong au cinéma : celui-ci nous livre une performance parfaite, nous montrant toutes les facettes d’un père de famille ayant, selon ses dires, raté sa vie. L’acteur figure également dans la scène de violence la plus forte jamais réalisée par James Gray, qui a pourtant filmé de multiples fusillades.

La jeunesse chez James Gray, une nouveauté d’Armageddon Time

1979, dans un lycée public de New York. Le jeune perturbateur Paul Graff cherche à faire rire ses camarades, ce qui a le don d’exaspérer son instituteur. Mais lorsque son ami noir Johnny prend la relève, le jeune homme remarque la différence de traitement entre son camarade et lui-même. D’abord trop innocent pour s’en inquiéter, il va, au fur et à mesure du film, comprendre les épreuves qui attendent le jeune Johnny. Il doit alors faire un choix : l’accepter ou s’insurger. Les dialogues avec son grand-père (Anthony Hopkins) nous offrent une véritable leçon de vie, à travers les idées d’un vieil homme sage, poussant son petit-fils à ne plus accepter les injustices.

Hormis dans Little Odessa, aucun des protagonistes du réalisateur n’était des enfants. Ici, Paul Graff (Michael Banks Repeta) et Johnny (Jaylin Webb) sont au centre du film dénonciateur de James Gray. Portés par de jeunes acteurs de talent, les deux personnages principaux nous invitent à la réflexion sur les inégalités subies par les minorités, et notamment par la communauté noire, à cette époque. À travers l’innocence du regard de deux jeunes adolescents, le cinéaste parvient, malgré plusieurs longueurs, à scotcher le spectateur au fond de son fauteuil de velours rouge pendant près de deux heures. Il semble aussi nous mettre au défi de ne verser aucune larme et fait monter nos émotions au fur et à mesure de son œuvre. À travers Paul Graff, James Gray reflète sa propre enfance, celle d’un petit-fils d’immigrés juifs cloués à la base de la pyramide sociale.

Mais dans Armageddon Time, James Gray ne s’intéresse pas seulement aux inégalités. Le deuil, l’amitié et la famille sont questionnés et décortiqués à hauteur d’enfants. Anne Hathaway et Jeremy Strong, qui jouent les parents de Paul, nous livrent deux performances plus que convaincantes et nous invitent à dîner à la table de cette famille brisée. Un père violent, une mère débordée et deux fils rebelles : nous laissons le patriarche Anthony Hopkins faire le médiateur. Armageddon Time, c’est l’American Dream jeté à la poubelle, rappelant la dure réalité aux populations immigrées du début des années 1980, alors que Ronald Reagan accède à la présidence du pays. Des familles rejetées qui ne peuvent plus croire à l’ascension sociale qu’on leur promettait.

Un manque de subtilité regrettable

Très bien accueilli à Cannes dont il repart tout de même bredouille (décidément, ce festival et James Gray semblent presque incompatibles), Armageddon Time a quasiment fait l’unanimité auprès des critiques, presse comme spectateurs. La puissance de ses propos politiques et de son portrait familial déchirant a conquis le public, mais ne suffit cependant pas à se détacher de ses films les plus marquantes. On ne retrouve ni la noirceur de La nuit nous appartient, ni la subtilité de Two Lovers, ni la beauté de The Lost City of Z : James Gray nous livre son œuvre la plus personnelle et mise sur la simplicité, mais nous laisse un peu sur notre faim. On ressort de la séance en ayant regardé une pluie d’évidences, certes bien filmées mais rarement placées sous un angle novateur.

Avec Armageddon Time, James Gray se livre sur ses expériences personnelles, à l’image de Quentin Tarantino ou Paul Thomas Anderson qui ont, eux aussi, récemment basé leurs longs métrages sur leurs propres vies. Comme eux, il a conquis la critique et nous offre, malgré quelques maladresses et un martellement d’idées presque trop prononcé, l’un des films les plus marquants de cette fin d’année.

Adrien Roche

*Ce travail a fait l’objet d’une vérification juridique et éditoriale par Ismahan Stambouli*