Éric Cantona a tranché, sa télévision sera éteinte lors de la Coupe du Monde au Qatar. En septembre, la légende mancunienne annonce sur Facebook qu’il va boycotter la compétition. Son opposition est l’une des rares clamée par une grande figure du paysage footballistique.
« À la place, je me referai tous les épisodes de Columbo », dénonce avec ironie le provençal, avant de qualifier la Coupe du Monde 2022 d’ « aberration écologique ». Doté d’un franc-parler, le français a l’habitude de susciter les réactions à chaque sortie médiatique. Cantona rime presque avec polémique. Depuis ses débuts, le natif de Marseille joue un rôle de vilain petit canard. Partout où il passe, la tempête Éric sévit. Retour sur une carrière entre échecs et succès. Le jour et la nuit.
De broussailleux sourcils noirs hérités de racines italiennes, un visage sévère, un charisme renforcé par un fort accent marseillais. Voici le portrait-robot de l’ancien attaquant français. Son style de jeu en est le contraste. Une conduite de balle élégante, des passes flottantes, un toucher chaloupé, Éric Cantona séduit par sa créativité. Sans être brésilien, son corps danse pour feinter les tacles adverses : « Manchester United était une bonne équipe, mais Cantona nous a rendus brillants », encense Ryan Giggs, son ancien coéquipier et légende galloise des Red Devils.
Tacle à la gorge façon Cantona
Mais, lorsque le quintuple champion d’Angleterre s’adonne à la pratique du tacle, c’est une toute autre chose. Janvier 1995. « The King », comme le surnomment les mancuniens, dispute sa troisième saison sous la tunique rouge de Manchester. Sir Alex Ferguson et ses joueurs affrontent Crystal Palace, club de la capitale Londonienne. Le match tombe un mercredi. Sans surprise, le ciel crachine, la pelouse est en mauvais état. C’est dans ce contexte stéréotypé des rencontres du championnat anglais de l’époque que l’idole de toute une ville assène un coup de pied sauté au visage d’un supporter de l’équipe adverse. Le pays entier s’offusque. La France aussi. L’Équipe titre en Une « Indéfendable ». Éric Cantona a perdu son sang-froid à cause des propos xénophobes du supporter. L’affaire est confiée à la police britannique. L’ampleur est telle que Guy Roux, son ancien entraîneur à l’AJ Auxerre, envoie une lettre à François Mitterrand. Sa requête ? Une intervention de la reine d’Angleterre dans l’enquête, afin que la justice anglaise soit indulgente envers son protégé.
« Éric était un gamin insupportable, c’était un adolescent très turbulent », se remémore Guy Roux, figure emblématique du football français. L’Auxerrois a pu entraîner le jeune prodige marseillais lors de son début de carrière. Déjà, l’attaquant se montrait sanguin, violent, problématique. Après l’affaire du « high-kick », l’emblématique numéro sept de Manchester donne une conférence de presse: « Quand les mouettes suivent un chalutier, c’est qu’elles pensent qu’on va leur jeter des sardines », déclare-t-il, menton levé, dans un accent anglais approximatif, devant une salle de journalistes médusés. Une phrase volontairement incompréhensible, vouée à faire perdre du temps à la presse. Audacieux. Neuf mois passent, le joueur est suspendu, l’attente est interminable pour les mancuniens. Les supporters anglais veulent un retour de leur magicien. À son retour sur les terrains, Old Trafford entonne symboliquement la Marseillaise. Un roi au pays de la reine. En 1997, l’ex-international français arrête sa carrière à son apogée. À l’image de sa carrière, imprévisible, le sportif avoue un désamour pour le ballon rond. Son passage à Manchester est ponctué d’un podium au Ballon d’Or. Au nord de l’Angleterre, le joueur français était au sommet de son art. Sir Alex Ferguson, l’iconique entraîneur des Red Devils, déclare vingt ans plus tard : « Je n’ai eu que quatre joueurs de classe internationale : Giggs, Ronaldo, Scholes et Cantona. » Les années sont passées, Cantona n’a jamais été oublié par ceux qui l’ont côtoyé.
Un artiste derrière la brute
« I’m not a man, I’m Eric Cantona », la fameuse réplique d’un sportif singulier résonne dans les salles du Festival de Cannes. En 2009, l’ancien footballeur apparaît sur le grand écran. Ken Loach, réalisateur britannique de renom, offre un rôle au rebelle français dans sa comédie dramatique Looking for Eric. Le film plaît à la critique. Charismatique, le joueur reconverti en acteur se marie bien avec le septième art. Depuis ses vingt ans, il prend des cours de théâtre. À la question « Cantona est-il un bon acteur ? », le cinéaste anglais répond : « Il travaille en finesse, comme quand il pratiquait le foot. C’est un colosse, mais j’ai toujours été fasciné par la délicatesse de son jeu. »
Par la suite, le nouvel acteur enchaîne les rôles. Comme pour le cinéma, le Marseillais affiche son amour pour la peinture, la pratique même. Le journal Le Monde rapporte que ses peintures sont expressionnistes, colorées. Éric Cantona aime l’art, la finesse, la sagesse. Au-delà du mauvais garçon aux excès de colère fréquents, se trouve un joueur à la philosophie altruiste, au service de l’harmonie du jeu : « Mon plus beau but était une passe décisive », confie-t-il. Col relevé, crâne rasé, air de bad-boy. Voici une peinture qui reste éternelle et iconique dans le livre d’or du football.
À son humble avis 11,5 millions d’euros. C’est le montant que la star anglaise David Beckham a encaissé en échange de la promotion de la Coupe du Monde au Qatar. Éric Cantona critique ouvertement son ancien coéquipier pour sa publicité envers l’organisation du pays du golfe : « Je pense qu’il a fait une grosse erreur. » Le Français reproche à l’ex-madrilène de n’en avoir eu que pour son compte en banque, à défaut d’avoir « la classe ». En effet, soutenir les qataris, c’est rire au nez des droits humains, selon Cantona : « Il se peut qu’il ne sache pas ce qui s’est passé là-bas. Ou, s’il le sait, je pense qu’il a mal agi. » |
Martin Kadem
*Ce travail a fait l’objet d’une vérification juridique et éditoriale par Lucie Guerra*