Le conflit russo-ukrainien ne faiblit pas à l’approche de l’hiver, tandis qu’en France, nous célébrons notre soldat inconnu. Il est temps de rappeler le peu de résonance de cette date à 3 000 kilomètres de Paris.
« Procédez au retrait des troupes ». La déclaration russe fait suite à la reprise de
Kherson par l’armée ukrainienne, le 12 novembre dernier. Pourtant, cette entrée
symbolique, est relativisée des deux côtés. Le Président ukrainien Zelenski avertit que
la guerre sera encore longue, tandis que Vladimir Poutine ne voit pas son orgueil
refroidir à l’approche de l’hiver. On attend à Moscou « 300 000 soldats, (pour) essayer
de reprendre l’initiative au printemps », selon le géopolitologue Ulrich Bounat. Les
soldats s’enterrent à l’Est, alors qu’en France, nous commémorons le 11 novembre. La
fin de la Grande Guerre est en effet marquée d’une pierre blanche dans notre calendrier.
En plus d’être un jour férié pour les élèves, c’est un hommage rendu aux près d’un
million quatre cent mille soldats morts pour la patrie.
Le 11 novembre 1918
Dans un wagon, en forêt de Rethondes, le généralissime français Ferdinand Foch reçoit une délégation allemande au petit matin. Une scène qui se veut mémorable : les Alliés, tels les rois catholiques recevant la soumission de Grenade en 1492. À 11 heures, les clairons retentissent dans les tranchées : les combats s’interrompent enfin. Quatre années de guerre. Une guerre totale impliquant dans son entièreté les populations de nombreux pays du globe. La France, et son territoire, sont exsangues. On ne compte plus les veuves, les orphelins, les vieillards et les gueules cassés, dans un pays déjà en stress démographique avant le conflit. La France de l’après-guerre se reconstruit sur les balafres laissées par les obus et le gaz moutarde. Dans chaque commune s’érigent, peu à peu, des monuments à la gloire de ces générations d’hommes tombés sous le feu. L’horizon menaçant de la guerre s’éloigne de l’Europe occidentale, tandis qu’on découvre, dans les grandes villes, la joie des « Années folles ». On a cependant longtemps oublié que la guerre n’est pas terminée en Europe. Des conflits s’allument çà et là, sur le vieux continent. C’est, selon le titre du film-documentaire : Apocalypse, La Paix impossible.
À l’Est, les prémices de l’antioccidentalisme
Le 3 mars 1918, la Russie, tenue par les Bolcheviks, signe une paix séparée avec le Reich allemand à Brest-Litovsk. Un an auparavant, une première révolution avait contraint le tsar à abandonner le pouvoir. Le régime socialiste qui s’était instauré, avait décidé de poursuivre la guerre avec les Alliés. Mais la nouvelle de l’effondrement de l’empire tsariste n’est pas passée inaperçue en Allemagne. C’est ainsi que dès avril 1917, le révolutionnaire marxiste Vladimir Ilitch Lénine est de retour à Petrograd, sous les auspices de Berlin. La révolution d’Octobre, qui fait suite, entérine pour de bon le retrait de la Russie de la Première Guerre mondiale. Pour le pays, c’est le début d’une guerre civile. Ceux que l’on appelle les « blancs », pro-tsaristes, sont appuyés par les nations européennes pour déloger les « rouges » de Moscou. Ainsi, un corps expéditionnaire français intervient à Odessa pour soutenir la contre-révolution. C’est un échec. Dès 1922, le régime soviétique est implanté sur toute la nouvelle URSS. De cette guerre civile naît également un sentiment de rejet de l’Occident. Près d’un siècle plus tard, Vladimir Poutine continue de défier les puissances de l’Ouest.
Une date symbolique en Ukraine
Le vendredi 11 novembre 2022 est hautement symbolique pour l’armée ukrainienne. Deux jours après l’annonce du retrait des troupes russes, le drapeau bleu et jaune flotte à nouveau sur Kherson. Il n’y a « aucun changement » pour le Kremlin. Pourtant, on mesure l’ampleur de la défaite russe. C’était l’unique capitale régionale conquise par les forces de Vladimir Poutine depuis le début de son « opération spéciale ». Des dizaines de milliers de soldats sont contraints de se replier de l’autre côté du Dniepr. Des carcasses de chars et des ponts détruits sont laissés pour empêcher l’avancée irréductible des Ukrainiens. La « guerre continue », relativise un ministre du gouvernement de Zelenski ; même si la prise de la ville de Kherson est un succès retentissant pour toute une nation. À l’Ouest, on essaye de trouver la paix, quand Vladimir Poutine brandit encore une impensable menace nucléaire. L’arme atomique n’a pas bouleversé totalement les guerres entre États. Sans armistice à l’horizon, les belligérants s’enterreront à nouveau dans les tranchées.
Rémi Girardet
*Ce travail a fait l’objet d’une vérification juridique et éditoriale par Lucie Guerra et Ismahan Stambouli*