Les Misérables, un électrochoc salutaire

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Pour son premier long-métrage, Ladj Ly accouche d’une œuvre magistrale. Primé au Festival de Cannes, sélectionné aux César et nommé au Oscars, le film Les Misérables connaît un succès tant inespéré qu’inéluctable.

Damien Bonnard (à gauche), Djebril Zonga (à droite) et Alexis Manenti (arrière plan) livrent une partition homogène. © Le Pacte

La banlieue avait La Haine, elle aura désormais Les Misérables ! Comme le film de Mathieu Kassovitz, paru il y a 24 ans, celui de Ladj Ly pourrait bien marquer son époque. Et si le titre emprunté à la célèbre œuvre de Victor Hugo est accrocheur, le film n’est pas une adaptation des mésaventures de Cosette et Gavroche. Des clins d’œils au roman sont tout de même adressés : l’action se passe à Montfermeil et le film s’achève sur les mots d’Hugo : « Il n’y ni mauvaises herbes ni mauvais hommes, il n’y a que des mauvais cultivateurs ». Engagé mais nuancé, le film alerte sur les tensions entre la jeunesse et la police dans les banlieues. Une histoire simple, inspirée de faits réels (une bavure policière filmée en 2008), nourrie par un trio d’acteurs qui se révèlent et confortée par des seconds rôles brillants. Prolongement d’un court métrage, le film, servi par des dialogues soignés et percutants, ne perd jamais son rythme. Contenu sur 24 heures, le film débute par une scène de liesse, celle qui suit la victoire de la coupe du monde, le 15 juillet 2018. Les jeunes de la cité des Bosquets ont même fait le déplacement jusqu’à l’arc de triomphe. Mais très vite, le prologue qui s’achève nous entraîne vers un huis-clos dont on ne sortira plus.

Une intrigue bien posée

À la manière du classique Training Day où excelle Denzel Washington en 2001, Ladj Ly prend le temps de poser le décor. Le procédé est classique mais efficace : un petit nouveau (Stéphane Ruiz dit Pento) fait son arrivée dans sa nouvelle unité de la Brigade anti-criminalité de Montfermeil. Ses deux partenaires, Chris, un bacqueux un peu rustre, et Gwada, lui présentent les différents groupes qui composent le quartier. Le réalisateur utilise le personnage de Buzz (incarné par son fils), pour prendre de la hauteur avec des images filmées au drone qui survole la banlieue. Montfermeil est étrangement calme en ce lendemain de sacre. Mais à la cité des Bosquets, le climat adouci par la victoire des Bleus ne suffit pas à contenir une colère retenue depuis trop longtemps… Et quand le lionceau du cirque tenu par les Gitans disparaît, c’est toute la ville qui s’embrase. Débute alors une ascension haletante vers des sommets émotionnels rarement explorés. C’est le souffle coupé que l’on assiste à la bavure du trio de la BAC, qui, en plein interpellation, se laisse déborder par un groupe d’enfants. Le drone de Buzz a filmé le tir de flash-ball ! Le spectateur est alors tiraillé : faut-il se ranger du côté du trio de flics, sur lequel l’étau se resserre ? Ou de celui des enfants de la cité qui expriment leur désarroi avec une ardente véhémence ? C’est là tout l’exploit de Ladj Ly qui, par son absence de manichéisme, élabore un récit en forme de cri d’alarme ultra-réaliste.

Suspense haletant, message percutant

Si les protagonistes de La Haine avaient 20 ans, ceux des Misérables en ont 12. En choisissant de délaisser les grands trafiquants au profit des enfants du quartier, Ladj Ly renforce le lien qu’il a tissé avec ses spectateurs dès les premières scènes. Bien plus que les exactions de certains policiers, le cinéaste dénonce leurs conditions d’exercice. Il se contente de peindre une réalité qu’il ne connaît que trop bien et la sert au public, dans l’espoir que la situation des banlieues françaises soit mieux comprise. « On sait l’ennemi en commun qu’il y a entre les habitants des quartiers et les policiers, c’est la misère », hurlera Ladj Ly au moment de recevoir son prix à Cannes. C’est bien cette misère sociale qui est combattue pendant 102 minutes. Les élus sont désemparés, les policiers ne voient pas grandir leurs enfants, les mères s’inquiètent de voir traîner leurs fils et les fils tentent d’exister en inquiétant leur mère. La communication est rompue et elle cristallise les tensions. Une tension qui monte d’un cran et ne redescendra plus. Jusqu’à une scène finale oppressante qui s’achève subtilement sur une image fixe où deux mondes se font face. Le fondu au noir se referme comme un œil et laisse entrevoir une suite. Et suite il y aura, puisqu’une trilogie vient d’être annoncée ! Tous ceux qui ont vu ce premier volet ont pris un uppercut en pleine face. Ce coup, le président Emmanuel Macron l’a reçu aussi. « Il faut se dépêcher de trouver des idées pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers », a déclaré le chef de l’État. Pour Ladj Ly qui regrette l’indifférence à l’égard des banlieues, la mission est accomplie.